On apprenait cette semaine la nomination de Tokiko Shimizu à la tête de la banque centrale japonaise. Pour la première fois en 138 ans, une femme montait à la direction de cette organisation.
Le problème ? C’est que cette information n’est pas exactement sortie comme cela mais plutôt comme « Pour la première fois en 138 ans : la banque centrale japonaise nomme une femme à sa tête ».
Si ce titre ne vous choque pas, cet article saura vous donner des éléments de réponse pour comprendre pourquoi certaines personnes s’en offensent.
Remarquer l’étonnant
Ce genre de titres sont pointés du doigt par les féministes comme étant problématiques. Souvent, le premier contre-argument auquel les militants féministes font face est l’idée de souligner le point important : c’est une femme qui accède à ce poste (ou réalise une découverte, reçoit une distinction,…), et c’est ce fait étonnant qu’il faut mettre en valeur. Peu importe son nom, ce qui est important c’est de dire que c’est une femme car ce n’est pas habituel.
Par exemple ici, dans le cas de Tokiko Shimizu, la banque centrale japonaise n’avait pas eu à sa tête une femme depuis 138 ans. Le point d’intérêt que le rédacteur a cherché à mettre en lumière est que ce poste n’a pas été donné à un homme cette fois-ci comme il l’a été pendant longtemps.
Sauf que c’est un comportement que beaucoup utilisent en titrant leurs articles comme le précise la journaliste Florence Hainaut dans un tweet :
Les folles aventures de Une Femme dans le monde du travail. pic.twitter.com/tHN7F3Ujz6
— florencehainaut (@FloHeyNo) May 20, 2020
« Une femme CEO ad interim d’Infrabel », « La Belgique choisit une femme Première ministre », « Une femme remplace le directeur du ballet de l’Opéra de Lyon licencié pour discrimination », « Une femme sacrée meilleur ouvrier de France en soudure pour la première fois »,… Les exemples ne manquent pas.
Ajouter un nom et prénom : ce n’est pas si sorcier
Si certains en rigolent (un peu jaune) en disant que Une Femme (nom : Femme, prénom : Une) doit être Superwoman pour avoir autant de jobs dans sa vie, d’autres militants rabâchent encore et encore que l’ajout d’un simple nom et prénom pourrait très bien faire l’affaire et contenter tout le monde.
Certains rétorquent alors qu’indiquer un nom et un prénom, dans le cas par exemple de pays étrangers, pourrait porter à confusion. Mais, dans le cas de Tokiko Shimizu toujours, l’article est mis en avant avec sa photo, ce qui pourrait facilement gommer les doutes de tout un chacun sur son genre.
Une solution très simple et pas si révolutionnaire que ça serait tout simplement de titrer nom, prénom et genre (puisque c’est là le point d’intérêt de l’article).
C’est d’ailleurs ce qu’a corrigé L’important :
Je ne suis pas qu’une exception
Derrière le choix de ne pas indiquer le nom et prénom de la personne concernée se cache une réelle invisibilisation. On ne prend pas la peine de la nommer, la ramenant simplement à son genre.
Bien sûr que le nom présenté aura 99,9% de chance de vous être inconnu et certains pourraient même parler d’un simple fait divers (à quoi bon mentionner le nom et prénom de ce restaurant qui s’est fait vandalisé la nuit dernière ou de cet inconnu qui a remonté l’autoroute en sens inverse ?).
Pourtant, ce genre d’articles relatent bien de faits marquants, de postes à haute responsabilité ou de réalisation puissantes. L’être humain derrière cela, qu’il soit homme ou femme, ne devrait pas être caché derrière son genre sous couvert de cette exception bravant la règle d’une inégalité.
Critiquer toujours la forme et ne jamais se contenter du fond
C’est également un argument qui revient fréquemment : certaines personnes ne comprennent pas réellement l’importance de s’attarder sur la forme (les mots choisis, les couleurs d’un produit, les supports commerciaux,…) plutôt que sur les vrais faits concrets.
Ainsi on a pu souvent entendre des opposants à l’écriture inclusive, aux questionnements sur la féminisation de certains métiers (maîtresse, infirmière, femme de ménage,…) ou encore, ici aussi, sur le problème de souligner un genre plutôt que de simplement se contenter de donner un nom et prénom comme on le ferait usuellement.
Après tout, ce qui est important, c’est qu’on combatte les inégalités hommes-femmes (les vrais problèmes), non ?
Sauf que fermer les yeux sur la forme c’est oublier une grande part du sexisme et des inégalités. La langue et les images ont ce côté insidieux de se confronter à nous en permanence.
Nous parlons tous les jours.
Nous voyons des publicités tous les jours. Cette publicité, maintenant sur nos écrans, est ciblée en fonction de notre sexe et notre âge (entre autres). En effet, il n’est pas rare, en tant que jeune femme de 25 ans, de se voir proposer à la chaîne des publicités de rasoir, de couches pour bébé ou de lessive. Et le tout vous est proposé bien plus fréquemment que ce que les publicités dans les magazines ou dans l’espace public pourraient le faire.
Il y a cette idée d’omniprésence : confronter régulièrement quelqu’un à quelque chose peut orienter sa vision sur un sujet.
Ainsi, confrontez des enfants années après années en leur disant « femme de ménage » et « mécanicien », ou bien « maîtresse » et « docteur » et vous obtiendrez ce subtile cocktail du sexisme dans le monde du travail.
Apprenez la langue française en répétant que le masculin l’emporte sur le féminin et vous insinuerez bien plus qu’une règle de grammaire dans la caboche de petites têtes blondes.
Les mots ont un sens et la façon dont on les utilise également.
Les combats du féminisme sont riches et variés (et non, conquérir le monde et écraser les hommes n’en font pas partie) : augmenter l’alphabétisation des femmes dans le monde pour qu’elles puissent s’instruire, réduire les inégalités salariales, combattre les violences faites aux femmes,… mais également se pencher sur les fondations de telles inégalités, ce qui peut se révéler bien plus subtile .
Réfléchir sur la façon de titrer des articles est important, surtout quand on garde en tête le fait que la majorité des lecteurs se contenteront de lire ce titre et uniquement ce titre sans aller plus loin.